dimanche 28 février 2010

Hommage à Tristan Corbière



ÇA?
What?...
SHAKESPEARE.

Des essais ? - Allons donc, je n'ai pas essayé!
Étude? - Fainéant je n'ai jamais pillé.
Volume? - Trop broché pour être relié...
De la copie? - Hélas non, ce n'est pas payé!

Un poëme? - Merci, mais j'ai lavé ma lyre.
Un livre? - ... Un livre, encor, est une chose à lire!...
Des papiers? - Non, non, Dieu merci, c'est cousu!
Album? - Ce n'est pas blanc, et c'est trop décousu.

Bouts-rimés? - Par quel bout? ... Et ce n'est pas joli!
Un ouvrage? - Ce n'est poli ni repoli.
Chansons? - Je voudrais bien, ô ma petite Muse!...
Passe-temps? - Vous croyez, alors, que ça m'amuse?

-Vers? ... vous avez flué des vers... - Non, c'est heurté.
- Ah, vous avez couru l'Originalité?...
- Non... c'est une drôlesse assez drôle, - de rue -
Qui court encor, sitôt qu'elle se sent courue.

- Du chic pur? - Eh qui me donnera des ficelles!
- Du haut vol? Du haut-mal? - Pas de râle, ni d'ailes!
- Chose à mettre à la porte? - ... Ou dans une maison
De tolérance. - Ou bien de correction? - Mais non!

- Bon ce n'est pas classique? - A peine est-ce français!
- Amateur? - Ai-je l'air d'un monsieur à succès?
Est-ce vieux? - Ça n'a pas quarante ans de service...
Est-ce jeune ? - Avec l'âge, on guérit de ce vice.

... ÇA c'est naïvement une impudente pose;
C'est, ou ce n'est pas ça : rien ou quelque chose...
- Un chef-d'œuvre? - Il se peut : je n'en ai jamais fait.
- Mais, est-ce du huron, du Gagne, du Musset ?

- C'est du... mais j'ai mis là mon humble nom d'auteur,
Et mon enfant n'a pas même un titre menteur.
C'est un coup de raccroc, juste ou faux, par hasard...
L'Art ne me connaît pas. Je ne connaît pas l'Art.

Préfecture de Police, 20 Mai 1873.


Tristan Corbière, Les Amours jaunes, 1873

samedi 27 février 2010

Incendie

Toi, jamais,
Plus
Jour où Faustine fût
Suicide, de ses lèvres,
Mes yeux
La sueur des pluies
Et la faille, de nos vitres
La survie d'un violon pauvre
Ciment métal
Sur les murs de métros
Tes cordes en écho
Te faire écho
L'Eternel
Cri
Et paupières peintes
Tu te serre
Et moi
Tu serres
La mémoire
J'infligerais aux innocents ce que tu mérites
Mon mérite
J'ai la haine en flot dans cet air qu'est le tien
Fumée ouverte au sang libre
Nous n'avons jamais
Je garde en mon sein
Ton fantôme
Ma gangrène
J'ai l'adieu clos
Et l'incendie
Caniveaux en bataille
Tes sens glissent
Et incendient

Deslogis

mercredi 24 février 2010

L'Être

L'Être apparu
De la Plaine de Temps Perdu.

À mervoise et à merveille
Mult prodhom fut.

Il montra la parole nouvelle
Aux mesfaiteurs et pécheurs.

L'Être, fut appelé Pôète
Que c'est chose de grande signifiance.

Tout le monde le chia,
Et Lui, chia tout le monde.

O. Valvos

dimanche 21 février 2010

J'en peux plus

J'en peux plus
Révolte à la gorge
C'est tout de haine
Que j'antre et glisse ce
en dessin

Haine, seule, du bonheur
Commun
Ces liens à
Conserver à
La lune

Dépouillé,
Comme lui on l'est
Tous

J'aime
Ta sombre
- itude blonde
toi du métro
à capuche
à l'oeil
qui jamais ne saura
tu es plus que toi
qui lis et te crois
J'aime au choix
des ombres
Tu es morte au couvent
d'un sac bleu
sur les points clairs du sale
- tu descends à Pereire, avant moi -
Je n'vois ta fuite
(j'écris)
Adieu

Un frêle écho de marbre t'imite sans succès

On est tous dépouillé

J'en peux plus
Révolte à la gorge
C'est tout de haine
Que j'antre ce
Et ces liens

Deslogis


samedi 20 février 2010

Hommage à Constantin Cavafy

L'avenir est tissu des ennuis d'hier

Et maintenant, que deviendrons-nous sans Barbares ? Ces gens là, c'était quand même une solution.

La ville te suivra. [...] Où que tu ailles, tu débarqueras dans cette même ville. Il n'existe pour toi ni bateau ni route qui puisse te conduire ailleurs. N'espère rien. Tu as gâché ta vie dans le monde entier, tout comme tu l'as gâché dans ce petit coin de terre.

Fortifié par la théorie et l'étude, je ne redouterai pas mes passions comme un lâche. Je livrerai mon corps aux plaisirs, aux jouissances rêvées, aux désirs amoureux les plus hardis, aux élans lascifs de mon sang. Et cela sans crainte aucune, car, lorsque je le voudrai (et fortifié comme je le suis par la théorie et l'étude, je ne manquerai pas de volonté), je retrouverai au moment critique mon ancien esprit d'ascétisme.

... reviens et prends-moi quand la mémoire se réveille [...] à l'heure où les lèvres et la peau se souviennent.

Et j'ai bu du vin fort, comme en boivent ceux qui s'adonnent bravement au plaisir.

Il enveloppe soigneusement, avec ordre, dans de la précieuse soie verte, les violettes d'améthyse, les roses de rubis, les lys de perles, beaux, parfaits, tel qu'il les veut, les préfère, et les juge bons, et non tel qu'il les as vus et observés dans la nature.

... m'arrêter ici, et me figurer que je vois ce paysage, et non pas seulement mes illusions, mes souvenirs, mes voluptueux fantasmes...

J'ai plus besoin de contempler que de m'exprimer. L'art me repose une fois de plus des fatigues de l'art.

Il marche sans but dans la rue, comme hypnotisé par le plaisir défendu - le plaisir défendu entre tous qu'il vient d'obtenir.

Tâche de capter, Poète, les visions que ta sensualité te suggère, même si tu n'en peux retenir qu'un petit nombre. Mets-les à demi cachées dans tes phrases ; tâche de t'en emparer, Poète, quand elles surgissent dans ton esprit la nuit ou dans l'éclat de midi.

De toute façon, cela ne pouvait durer. Toute mon expérience me l'enseigne. Mais le Sort vint tout terminer un peu trop vite.

J'ai regardé si fixement la beauté que mes yeux sont tout plein d'elle.

Il m'apparaît plus beau, maintenant que mon âme l'évoque hors du Passé.

Je comprends maintenant le sens des années de ma jeunesse, de ma vie voluptueuse.
Qu'ils étaient vains, mes remords, et inutiles...
Mais, jadis, le sens de tout cela m'échappait.
Dans les débauches de ma jeunesse, le sens de ma poésie s'affirma, les contours de mon art se sont dessinés.
C'est pourquoi mes remords ne m'ont jamais arrêté longtemps. Et mes projets de réforme duraient deux semaines, tout au plus.

Constantin Cavafy, Poèmes (extraits), 1911-1933

mercredi 17 février 2010

Les Dieux te désertent

"La ville te suivra"
Constantin Cavafy

à Σ.

Quand ces quelques cieux de trop frôlent tes toits ouverts aux averses enivrantes, une essence en ta mer creuse l'écho.
Tu auras froid, et le sang divers.
Tu auras le goût de sève et l'acide de tes reins léchés.
Et moi, qu'un, ne me crains pas plus.
La sueur s'essuiera en un feu de soie et toi, tu salueras.
Comme Paris que tu perds.

Deslogis

dimanche 14 février 2010

Hommage à Marc-Édouard Nabe

Heureux qui comme Joyce écrit Ulysse.
[...]
Beau comme le comte de Lautréamont trouvant une métaphore.
[...]
Francis Picabia est un grand mauvais peintre.
[...]
Rrose Sélavy est une Rrose Sélavy est une Rrose Sélavy est une Rrose Sélavy.
[...]
Finnegan Wake : île lisible.
[...]
Aujourd'hui Emile Zola écrirait : J'excuse.

Marc-Édouard Nabe, Petits riens sur presque tout, 1992

samedi 13 février 2010

Il est où ?

Il est où le poète, dévoreur de vermines les soirs de printemps illuminés par la lune ?

Il est où le poète, à qui on a arraché les yeux pour mieux comprendre son intérieur, les jours joyeux de fêtes ?

Il est où le poète, être maudit par l'histoire et les rêves, lorsqu'une gracieuse musique dessine des sourires sur les visages des gens ?

Il est où le poète, sauvage et incontrôlable, lorsqu'un petit enfant joue avec bonheur dans la rue ?

Il est là le poète.

Il est là à prendre la réalité

et à la faire sienne.

Il observe, transforme et corrompt.


Ils sont où les poètes ?

Les voilà


O. Valvos

mercredi 10 février 2010