lundi 10 janvier 2011

Hommage à Georges Séféris

JEUDI 31 DECEMBRE 1925

Nuit de l'année entière. Non, la fin de l'art n'est pas d'émouvoir.
[...]
- D'où est-tu ?
- Je n'en sais plus rien.
- Mais...
- Qu'est-ce que tu veux que je fasse ? Dans mon pays, il y a tant de morts et si peu de vivants. Comment saurait-on d'où on est ? Peut-être que je te semble fou en parlant ainsi. Pourtant, tous ceux qui te parlent comme de vrais perroquets, ne les crois pas.
Nous n'avons jamais vécu avec de la musique, mais seulement avec des sérénades. Comment nous serait-il donc possible d'écrire des poèmes ? Nous n'avons pas vécu le drame de l'expression, comment ne serions-nous pas conventionnels ? Les couleurs de l'Attique sont belles, et les lignes des montagnes semblent tracées par la main humaine. Mais à qui cette émotion a-t-elle dit quelque chose ? Quel dommage que nous commencions par lire des livres étrangers qui sont bien incapables de nous nourrir, puisque notre propre culture ne nous a pas préparés à vivre. Mon Dieu, à quoi pourra bien me servir ce que j'ai appris ? Désespoir de se sentir appartenir à un autre univers : ma pensée vaut pour tous, sauf pour mes compatriotes d'aujourd'hui.


Il arrive parfois que Stratis ne puisse s'exprimer en grec et qu'il lutte dans le vide. Pourquoi cela ? Non point qu'il ne sache pas assez de grec. Il ne manque ni de savoir ni de bonne volonté. Tout au contraire. C'est du côté de ce "tout au contraire" qu'il faut creuser.


Étrange amertume de songer que les autres femmes ont les mêmes organes que la femme que vous aimez.
É
trange amertume de se sentir incité de tout son être à écrire et de songer qu'il y a des millions de vers déjà écrits.


Georges Séféris, Pages de Journal, 1925-1971

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