mercredi 6 mai 2009

Hommage à Gérard Genette

Cette "déception" du sens qui se fige et se constitue en objet de consommation esthétique, c'est bien sans doute le mouvement (ou plutôt l'arrêt) constitutif de toute littérature. L'objet littéraire n'existe que par lui; en revanche il ne dépend que de lui, et, selon les circonstances, n'importe quel texte peut être ou n'être pas littérature, selon qu'il est reçu (plutôt) comme spectacle ou (plutôt) comme message : l'histoire littéraire est faite de ces aller-retour et des ces fluctuations. C'est à dire qu'il n'y a pas à proprement parler d'objet littéraire, mais seulement une fonction littéraire qui peut investir ou délaisser tour à tour n'importe quel objet d'écriture. [...] Littérarité, donc, partielle, instable, ambigüe.

[...]

La littérarité est aussi fonction de la non-littérarité, et aucune définition stable ne peut en être donnée : seule demeure la conscience d'une limite. Chacun sait que la naissance du cinéma a modifié le statut de la littérature : en lui volant certaines de ses fonctions, mais aussi en lui prêtant certains de ses propres moyens. Et cette transformation n'est évidemment qu'un début. [...] Nous ne croyons déjà plus, comme on l'a cru d'Aristote à La Harpe, que l'art soit une imitation de la nature, et là où les classiques cherchaient avant tout une belle ressemblance, nous cherchons au contraire une originalité radicale et une création absolue. Le jour où le Livre aura cessé d'être le principal véhicule du savoir, la littérature n'aura-t-elle pas encore changé de sens ? Peut-être aussi vivons-nous simplement les derniers jours du Livre. Cette aventure en cours devrait nous rendre plus attentifs aux épisodes passés : nous ne pouvons pas indéfiniment parler de la littérature comme si son existence allait de soi, comme si son rapport au monde et aux hommes n'avait jamais varié.

Gérard Genette, Structuralisme et critique littéraire, 1966.

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